Née à Tours en 1982, Madame vit et travaille à Paris.
Depuis maintenant dix ans elle travaille et retravaille de vieux documents et vieilles photographies (du siècle dernier jusqu’aux années 50/60), pour en refaire de nouvelles images, plus contemporaines.
Ces visuels originaux mêlant texte et image ont pour particularité d’être toujours articulés de la manière suivante :
une image et une punchline qui dialoguent sans pour autant s’illustrer l’un l’autre.
Une fois ces collages petits formats finalisés, ils sont scannés pour être imprimés en très grand format et apposés dans la rue.
Aujourd’hui, Madame collabore avec le Centre des Monuments nationaux, le Musée du Louvre, l’Alliance Française du Pérou, la papetier italien Fabriano, l’École 42…
CANCRES
Exposition à Artistik Rezo du 12 septembre au 10 octobre 2019
« C’est une ode à la différence, au décalage, au pas de côté, et au plaisir simple que j’ai tenté d’esquisser. Toutes les œuvres présentées ont en commun l’enfance, la bêtise, les plans bancals ou stratégiques… en bref l’amusement (…)
Je voulais retourner un peu en enfance et montrer que les cancres ne sont rien d’autre que des magiciens qui font du fantastique avec le quotidien, et du plaisir un thème souverain. » Madame
ENTRETIEN AVEC MADAME
D’où venez-vous ?
Je suis issue d’une famille d’artistes. Mon grand-père et mon père étaient peintres… J’ai toujours refusé de le faire. Même si j’ai toujours dessiné, je ne me sentais pas les épaules pour porter la tradition familiale… J’ai été comédienne, avant de devenir scénographe. Je faisais des petits dessins, des collages, des carnets de voyage quand je voyageais, où là aussi je collais des trucs…
Je me suis mise au collage, parce que techniquement, avec le dessin, je n’arrivais pas à exprimer ce que je voulais. À la même époque, je traînais à Paris avec beaucoup de graffeurs. J’ai fait mon premier collage vers le Canal Saint-Martin il y a un peu plus de trois ans. C’était un gros singe avec une trompe d’éléphant. Ça s’est tellement bien passé que ça m’a fait du bien, j’ai trouvé ça facile. Ça n’était pas tortueux, je posais où je voulais… J’ai commencé pettit, et de plus en plus grand.
Scénographe, c’était déjà une appropriation de l’espace. Il en reste quelque chose dans votre travail de rue ?
Je me rends compte que oui. D’autant plus que, récemment, je me suis beaucoup réorientée sur des objets – des choses que je peux toucher pour agir dessus, modifier légèrement le sens. De la même façon que je suis influencée par les images d’Épinal. J’aime toujours ce qui est un peu caché, ce qu’on ne découvre pas au premier regard. D’où le fait de choisir des objets que je peux détourner, des lampes allumées et éteintes, de construire des boîtes… J’adore être surprise. Quand j’aime un artiste, j’aime pouvoir être étonnée qu’il ait changé de support, de couleurs… Je déteste l’ennui, et je détesterais qu’on pense que je fais du Madame… Donc j’essaye de diversifier, même si je pense que je collerai toujours dans la rue – j’aime trop ça.
Pourquoi cet univers rétro ?
J’ai grandi dans l’atelier de mon grand-père, plein de vieux objets, et j’avais la chance qu’il me laisse tout toucher. Les pinceaux, les palettes, je tripatouillais….
Il y avait un grand buffet dans son atelier, sous une grande verrière, et je me revois avec un carnet de feuilles d’or à la main, que j’avais déniché là, et qu’il m’a laissé feuilleter au soleil…
J’ai toujours été dans le permissif de la manipulation, c’est pour ça aussi que j’aime qu’on touche mes pièces ! J’ai gardé aussi ce côté bordélique – il y a toujours quelque chose qui traîne…
Je suis très attachée à la nostalgie, au goût de l’enfance…
Mais c’est une nostalgie qui joue avec l’ironie, le décalage…
Toujours. Je n’aime pas les gens qui se prennent au sérieux. Je n’imagine pas bosser sans me marrer. Donc j’ai envie que les gens se marrent en regardant mes pièces. Puisque je pose dans la rue, j’ai besoin de créer quelque chose. Je n’ai pas envie de coller un truc et que les gens ne comprennent pas. Même s’il y a un double ou un triple sens dans un de mes collages, j’ai envie que la première réaction des passants soit le sourire. Qu’ils sentent qu’il y a quelque chose de rigolo. Je colle de jour exprès, pour voir les réactions. J’ai un peu collé la nuit, au début, et ça ne me correspondait pas du tout. Je ne suis pas une vandale, je n’ai pas la prétention d’être hors-la-loi. Je ne revendique rien, si ce n’est de la tolérance ou des interrogations. J’aime en discuter, y compris avec certains qui n’aiment pas. Ce que je comprends – j’impose quelque chose en collant dans la rue !
Pourquoi la question de l’identité, du genre vous tient autant à cœur ?
Depuis toujours, je me pose beaucoup de questions là-dessus. Je crois que ça remonte à un trauma d’enfance. J’avais les cheveux très longs, et une de mes copines m’a proposé de jouer à la coiffeuse. Je pensais qu’elle ferait semblant, et elle m’a coupé les cheveux à ras… Pendant plusieurs mois, on m’a traitée de garçon ! Je traîne beaucoup avec des mecs, je ne me laisse pas emmerder…
Dans mon travail, c’est aussi lié au fait qu’aujourd’hui, je ne comprends pas qu’on puisse encore juger des gens sur leur identité ou leurs préférences sexuelles. De quel droit ? Je pense qu’on est deux en nous, un peu de masculin, un peu de féminin. On n’est pas prédestiné à aimer forcément quelqu’un du sexe opposé, on a le droit d’essayer les deux, de se tester… On m’a élevée dans la tolérance.
La moustache avec laquelle vous signez, c’est l’emblème de cette revendication ?
Bien sûr ! J’aime biaiser les frontières. J’aime bien partir de cette image très girly qui dit des trucs de bonhomme, ou l’inverse : un gros bonhomme très maquillé qui t’arrache le cœur en disant des trucs ultra sensibles.
J’aime vraiment mélanger les deux, tout en essayant de ne pas lasser, de ne pas devenir systématique ni redondante. Dans mon parcours culturel, j’ai aussi été influencée par le punk que mon frère adorait ou les images transgenres des années 80.
D’où viennent les images que vous utilisez pour les collages ?
De magazines du début du XXe siècle jusqu’aux années 70, maximum. Après, les couleurs et les matières changent.
Je tiens à garder quelque chose d’obsolète. J’aime l’idée d’artisanat, que ce soit un peu abîmé, qu’on ne sache pas tout à fait si l’image a été retravaillée ou non. C’est encore une histoire de transgression : transgression de l’époque, du style…
Vous vous sentez proche d’une certaine tradition du collage – surréaliste ou dada, par exemple ?
Pas du tout. Bien sûr, j’ai été dans les musées quand j’étais petite, et il me reste sûrement certaines choses. Mais j’évite de regarder exprès, je ne veux pas être influencée. Je ne veux pas faire du dada ! Quand je regarde les pastels que je faisais à une époque, je trouve qu’on dirait du Chaissac. Je ne le faisais pas consciemment, mais j’en avais trop vu gamine parce que mes parents adoraient… Et je n’ai pas envie de recracher un truc qu’on m’a inculqué il y a mille ans ! J’ai peur d’être influencée, mais aussi de me comparer. J’aime aller voir autre chose, me nourrir d’arts qui ne ressemblent pas du tout à ce que je fais. J’adore l’art brut, par exemple, ou la photo.
Pourquoi décliner sur des objets ?
Si ça circule, c’est que ça touche. Je vends des produits dérivés, pas très chers, comme des sacs ou des sérigraphies, pour que ça circule. Je n’ai pas la prétention d’en vivre…
Pourriez-vous développer sur ce parallèle entre le théâtre et votre travail ?
Le théâtre est vraiment une mise en abime de mon travail. Tant dans la démarche que dans la réalisation. Je commence par un travail à la table, comme on écrit un texte au théâtre. Après on scénarise, puis on met en scène et enfin a lieu la représentation. J’ai exactement cette démarche-là. C’est un processus qui va de l’ombre à la lumière, pour ensuite retourner à l’ombre. Les petites boites que je construis sont comme des petites scènes. Le fait de coller en pleine rue et une seule fois la même pièce fait également écho à une représenta tion de théâtre : à chaque fois c’est la même démarche, mais la pièce change. Je crée des petites pièces manipulables où il y a des choses et des sens cachés également.
Ce qui m’intéresse c’est ce que tu vois et que ne voit pas ton voisin, et inversement. C’est exactement la même chose sur une scène de théâtre, en particulier une pièce de théâtre contemporain. Une personne va y voir quelque chose alors que la personne à côté n’y verra pas le même sens. Je trouve ça joli cette démultiplication des sens par un dialogue entre ma sensibilité et celle du spectateur.
C’est une interrogation sur ce que tu représentes quand, comme dans mon travail ou comme dans le théâtre contemporain, tu assembles des images et des mots qui, au départ, ne sont pas censés se rencontrer. Les pièces que je fais, en collage, comme du patchwork, participent de cette interrogation.
Quelle réaction recherchez-vous chez le spectateur ?
J’ai juste envie de surprendre les gens. La plus belle chose pour moi c’est quand je vois la surprise sur le visage des gens, quand ils se marrent devant mes pièces ou s’interrogent sur la manière dont ça a été réalisé. Je fais simplement parler du papier et du carton, tout le monde pourrait le faire. Alors, j’ai juste envie de faire rire et surprendre.
À PROPOS D’ARTISTIK REZO
J’évoque régulièrement ici ARTISTIK REZO puisque nous publions fréquemment des articles consacrés à l’Art urbain. Avec 150 000 visiteurs uniques par mois, Artistik Rezo, fondé et présidé par Nicolas Laugero Lasserre (oui, oui, « celui » de Fluctuart) est l’un des principaux médias culturels sur le web.
Premier du genre en France, le site propose à ses lecteurs le meilleur des sorties théâtre, cinéma, art et musique avec des critiques, interviews, dossiers, actualités, portraits d’artistes..
Depuis janvier 2015, l’association Artistik Rezo, en plus d’être un média et un club culturel d’environ 6 000 membres, s’est dotée d’une galerie d’art contemporain en partie consacrée à l’art urbain. Cette galerie est donc le troisième volet de cette association et accueillera cette année les artistes Zdey, Bault, Erell et Nas entre autres…
Exposition du 12 septembre au 10 octobre 2019
Du lundi au jeudi de 10h à 19h, le vendredi de 10h à 18h,
et le samedi de 13h à 18h.14 RUE ALEXANDRE DUMAS – 75020 PARIS
+33(0)1 77 12 54 55
[…] artistes Eron (Italie), Telmo Miel (Pays-Bas), Waone (Ukraine), Seth (France) et Jade Rivera (Pérou) ont chacun investi une façade de 150 m2. Le challenge consistait, […]