DERNIERS JOURS POUR L’EXPOSITION ZWY MILSHTEIN, ENFANT TERRIBLE DE L’ART, À LA MAIRIE DU XEME

Du 28 novembre 2024 au 20 janvier 2025, la Mairie du Xème arrondissement de Paris fais honneur à Zwy Milshtein (1934 – 2020), dessinateur, peintre, graveur, sculpteur et auteur moldave qui aurait fêté ses 90 ans cette année.

Gigantesques ou minuscules, cinquante œuvres offriront un panorama de l’univers complexe d’un artiste marqué par l’exode en Europe de l’Est aux heures les plus sombres du XXème siècle.

À la frontière de l’abstraction, Milshtein s’emploie pendant plus de 60 ans à donner vie à la matière.

De tâches et d’accidents naissent sur la toile ou le papier une multitude de figures intensément expressives : êtres chers et désirées, mémoires des hommes et des femmes qui ont peuplé l’odyssée de son enfance qui le mena jusqu’en Israël.

Dès l’âge de 20 ans, son travail est reconnu par le Musée de Tel-Aviv avant qu’une bourse d’études lui permette d’intégrer l’École des Beaux-Arts de Paris. Rapidement, il participe aux expositions de l’École de Paris à la Galerie Charpentier, tandis que Katia Granoff, qui compare Milshtein à Goya, présente son travail à partir de 1958.

Du Musée d’art moderne de la Ville de Paris au MoMa à New-York, en passant par le Musée des Arts Décoratifs de Paris, le Cabinet des estampes de la BNF ou encore la Bibliothèque Royale de Belgique, les œuvres de Milshtein figurent aujourd’hui parmi les collections publiques françaises et internationales les plus importantes.

Outre la peintre, l’estampe contribue amplement au renom de Milshtein qui se réclame graveur avant d’être peintre dans les années 70.

Le Cabinet des estampes de la BNF lui consacre en 1978 l’exposition « Milshtein Estampes ».

ENFANCE ET EXODE, L’ÉPOPÉE

Grigory Isakévitch Milshtein, dit Grisha, nait en 1934 à Kichinev, la capitale de la Moldavie, dans une famille juive.

En 1939, les soviétiques entrent en Moldavie en vertu du pacte germano-soviétique. Isaac Milshtein est arrêté parmi 30 000 personnes classées « laquais d’un régime impérialiste ». Il est déporté en Sibérie où il meurt. Le demeure des Milshtein est confisquée et en tant que famille comptant un déporté, Rita Milshtein et ses deux fils sont contraints de résider en dehors de la capitale.

Commence en 1941 un exode à travers l’Europe de l’Est, qui s’achève huit ans plus tard à Israël, passant par la Géorgie, l’Ukraine, la Roumanie, la Bulgarie et Chypre.

C’est à Tbilissi, en Géorgie, alors que la famille est hébergée par une parente, épouse du Gouverneur de la région de Tbilissi, que Grisha vit sa première expérience artistique dans un atelier de peinture. De 1943 à 1944, il apprend le dessin, découvre les palettes, les pinceaux, les couleurs et le papier.

À la fin de la guerre, le retour à Kichinev est douloureux. L’appartement de famille est occupé, la plupart des amis et voisins ont disparus. Les Milshtein repartent en direction Bucarest où Rita espère être prise en charge par les autorités consulaires des États-Unis au titre de veuve d’un employé d’une organisation américaine (la JOINT). Lors de ce séjour, le jeune Grisha étudie auprès du peintre et historien de l’art George Stefanescu (1914-2007) qui l’initie à l’art classique de la peinture à huile.

En 1947, le périple continue. Rita Milshtein décide de se rendre en Palestine avant même la création de l’État d’Israël. Elle embarque avec ses deux enfants sur le Pan York détourné à Chypre par les Britanniques qui interceptent la plupart des bateaux d’immigrants juifs fuyants l’Europe.

Les Milshtein sont conduits dans un camp où sont réunis plus de 50000 juifs. Pour éviter toute reconduite en Europe, les organisateurs de l’émigration sioniste demandent à chacun de déchirer ses papiers d’identité. C’est à cette occasion que Milshtein abandonne le prénom de Grisha pour celui de Zwy.

Parmi les associations caritatives qui œuvrent pour adoucir les difficiles conditions de vie du camp, la JOINT (American Jewish Joint Distribution Committee) propose des activités aux détenus, notamment d’expressions artistiques.

Zwy participe ainsi aux cours de peintures et sculptures du sculpteur Zeev Ben-Zvi (1904-1952).

Rita et ses fils atteignent enfin Israël et la ville d’Haïfa en 1948.

« Petit à petit la honte d’être juif s’est transformée en fierté nationale ; j’ai appris que Jésus-Christ et Marx étaient juifs, tout comme Einstein, Spinoza, Proust et Golda Meir. J’étais tellement fier que j’ai changé mon nom de Grisha en Tsvi, l’écrivant Zwy donc avec trois fautes d’orthographe.

Belle performance pour un mot qui n’a que quatre lettres »

Zwy Milshtein

D’ISRAËL À PARIS

UNE RECONNAISSANCE ARTISTIQUE DÈS LES PLUS JEUNES ANNÉES

À son arrivée, Milshtein poursuit ses études d’art à l’institut d’art Bezalel, de Jérusalem, et à l’école d’art de Tel-Aviv. Il fréquente peintres et poètes, participant en 1952 à la création de la revue Likrat qui imagine une nouvelle poésie en hébreu. En 1954, alors âgé de 20 ans, il est le plus jeune participant de l’exposition « Young Israeli Painters » au Musée de Tel-Aviv.

En 1956, Zwy Milshtein se rend à Paris et intègre l’École des Beaux-Arts grâce à une bourse délivrée par la Norman Foundation. Il s’installe avec sa jeune épouse Yokwed Kachi – première parachutiste de l’armée israélienne – dans le quartier de Saint-Germain.

Des cafés aux galeries, sans oublier les clubs d’échec, débute alors la vie parisienne du jeune artiste qui durera jusqu’à son décés.

Paris était la Mecque de l’art contemporain à nos yeux d’Israéliens.

Zwy Milshtein

La galerie Saint-Placide organise sa première exposition personnelle en 1957. La même année, et jusqu’en 1960, il participe à l’exposition annuelle de l’École de Paris à la Galerie Charpentier.

Lorsque Milshtein rencontre Katia Granoff, en 1956, elle possède deux galeries à Paris et une à Honfleur. C’est elle qui a forcé le regard du public sur les derniers Claude Monet révélant qu’il pourrait être un des pères de l’abstraction lyrique. Dans les années 1920, elle avait découvert Chagall, Othon Friesz, Chana Orloff, défendu Soutine et Utrillo.

À partir de 1959, l’artiste signe un contrat avec la galerie Granoff qui lui organisera six expositions personnelles.

Jamais de mon souvenir ne s’effaceront les grandes effigies que vous aviez dressées sur les murs de ma galerie, de ces pêchers capitaux avec leur terrible message que je ne saurais oublier. […] Si, parmi vos prédécesseurs je ne pourrais vous comparer à aucun autre, je prendrais la liberté de vous apparenter à Goya, peintre inoubliable des abysses humains.

Mais l’enfer que vous évoquez, en tant que graveur, est celui de notre vie quotidienne, de ses misères, de ses cauchemars, de ses angoisses et des crimes contre l’Esprit, où vous rejoignez Pascin et Grosz. Katia Granoff, Milshtein, Editions A & A, 1984

DE LA PEINTURE À L’ESTAMPE, LA MATIÈRE TOUJOURS.

Au cours des années 1960, son intérêt pour la matière le mène naturellement vers la gravure : graver c’est creuser, inciser, fouiller dans la matière dure, le bois, le métal ou autre. Après avoir suivi les cours de Delpech, il participe en 1970 à l’exposition de gravures présentée au Musée des Beaux-Arts de la Ville de Paris dans la cadre de la section ARC (Atelier-Recherche-Confrontation), la place la plus dynamique de l’art contemporain. Rapidement, il se réclame graveur avant d’être peintre.

On peut graver au chalumeau, utiliser toutes les techniques, même la photocopie, l’offset, tout ! Pour créer une œuvre originale qui soit liée à la technique employée. Toutes les techniques sont valables, mais tout dépend de ce que l’on fait.

Zwy Milshtein

Il expérimente, innove, pervertit les procédés traditionnels de l’estampe. C’est cette inventivité permanente qui conduit de célèbres éditeurs tels qu’Heinz Berggruen ou Arsène Bonafous-Murat à lui commander des pièces pour les exposer dans leurs catalogues.

En 1978, le cabinet des estampes de la Bibliothèque nationale lui consacre une exposition,« Milshtein Estampes ».

Monsieur Milshtein, pourquoi avez-vous décidé de faire une interview avec vous-même ?

Mais parce qu’on n’est jamais aussi bien servi que par soi-même !

Il me semble que vous vous trompez car de ce genre de dialogue résultent les plus grandes contradictions ?

– Je vis avec ces contradictions depuis quarante-quatre ans et je me porte très mal merci!

Vous êtes peintre-graveur ?

Non! Je suis graveur-peintre ! […]

Zwy Milshtein

RETOUR À LA PEINTURE

Le retour de Milshtein à la peinture est étroitement lié à sa rencontre avec Alin Avila au début des années 1980. Attiré davantage par les marges de la création que par le marché de l’art, le jeune marchand et historien de l’art s’attache tout d’abord à faire reconnaitre Milshtein en tant que peintre. Il organise à sa demande une exposition rétrospective à Créteil marquant le début de trente années de collaboration extraordinairement productive.

Plus de soixante expositions sont organisées directement ou par l’intermédiaire du galeriste et une dizaine de livres consacrés à Milshtein sont édités.

C’est au cours de cette période que Milshtein réalise son chef d’œuvre, Quo Vadis.

Trois années lui sont nécessaires pour réaliser ce triptyque monumental (H. 260; L. 700 cm), résultat d’une multitude de couches de peinture et d’hésitations. On discerne dans les figures déposées sur la toile un inventaire de celles qui ont toujours traversé son œuvre : une famille indistincte resserrée dans un lit sous une couverture tricolore ; un ange chaussé de talons hauts; des visages massacrés d’un geste joyeux et décidé; au centre, une foule de laquelle surgissent trois présences, le visage d’une femme qui vaut pour toutes et pour une mère, une petite fille représentée sur un bout de bois collé comme il a aimé en peindre de nombreuses fois, et, au-dessus de tous, l’image d’un petit garçon juif les bras levés à l’instar du condamné de Très de mayo de Goya. Un taureau, un couple ennuyé, une prostituée… les figurants témoignent de l’homme, de ses forces et de sa sexualité. Tous ces éléments constituent l’exposition des thèmes qui font l’œuvre de Milshtein, une combinaison sensible de thèmes religieux, de références à la Shoah, de souvenirs d’une enfance menacée et d’emblèmes pornographiques.

Chaque fois qu’on me demande de parler de peinture, je m’éloigne du sujet : c’est plus fort que moi. La seule chose dont je suis sûr, c’est que la peinture, pour moi, c’est ce que l’amour était pour Carmen, un enfant de Bohème qui n’a jamais jamais connu de loi ! La peinture est un acte d’amour et celui qui se demande quoi peindre devant une toile vierge ne peindra jamais car il ne faut pas faire des tableaux, mais il faut peindre, il ne faut pas vouloir faire des chefs-d’œuvre, ce serait pêcher par orgueil.

Zwy Milshtein

INFOS PRATIQUES

EXPOSITION
ZWY MILSHTEIN, ENFANT TERRIBLE DE L’ART

Du 28 novembre 2024 au 20 janvier 2025

Mairie du Dix – Grand hall
72 rue du faubourg Saint-Martin
75010 Paris

Commissariat : Lara Milshtein et Anne Soto Kemp

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