Une adaptation, plutôt réussie, mise en scène par Marie Rolland
Parmi les classiques du théâtre français, « Le Jeu de l’Amour et du Hasard » de Marivaux occupe une place de choix. Cette comédie du XVIIIe siècle, mêlant quiproquos et jeux d’apparences, est aujourd’hui revisitée avec brio par Marie Rolland, qui insuffle une nouvelle énergie à ce chef-d’œuvre intemporel.
Un stratagème amoureux toujours aussi savoureux
Le texte de Marivaux, connu pour sa finesse et sa légèreté, repose sur un jeu de dupes délicieux : Silvia et Dorante, tous deux promis l’un à l’autre, décident indépendamment d’échanger leurs rôles avec leurs domestiques afin d’observer secrètement leur futur(e) époux(se). Ce double subterfuge entraîne une série de situations cocasses et de malentendus qui mettent à l’épreuve leurs sentiments naissants.
Marie Rolland choisit d’accentuer la dimension théâtrale de cette intrigue en jouant sur une mise en scène moderne et rythmée. Son adaptation met en valeur le piquant des dialogues de Marivaux tout en les rendant accessibles au public contemporain.
Une mise en scène inventive
Ce qui frappe d’emblée dans cette adaptation, outre le talent des jeunes comédiens, c’est la direction artistique de Marie Rolland. Elle choisit un décor épuré et modulable, jouant sur des éléments visuels dynamiques qui évoluent au fil des révélations des personnages. Les costumes, quant à eux, revisitent le XVIIIe siècle avec des touches contemporaines, soulignant ainsi l’intemporalité du propos.
Le travail sur les lumières et la musique accompagne parfaitement le rythme effréné des échanges, amplifiant l’émotion et l’humour de la pièce.
La complicité entre les comédiens est palpable et confère une énergie communicative à l’ensemble.
De jeunes acteurs très prometteurs
Dans cette adaptation, le duo Arlequin-Lisette (Nicolas Lefebvre et Alice Burvingt), véritable moteur comique de la pièce est interprété avec une telle sincérité (leur jeu scénique nous a particulièrement séduits) que la farce laisse parfois sa place à l’émotion.


Les rôles de Silvia (Hélène Badoui) et Dorante (Jean-Baptiste Ollé) sont portés par deux jeunes acteurs qui parviennent à restituer toute la subtilité des émotions de leurs personnages.

Les personnages de M. Orgon et Mario (Thibault Lebouc et Bastien Blassel), souvent en retrait dans certaines mises en scène, sont ici pleinement intégrés dans la dynamique de l’histoire, accentuant le regard ironique et complice de « ceux qui savent » sur les élans passionnés de la jeunesse. Bastien Blassel excelle dans ce rôle.
Une redécouverte jubilatoire d’un classique revisité
Avec cette adaptation du « Jeu de l’Amour et du Hasard », Marie Rolland réussit un pari audacieux : celui de faire redécouvrir Marivaux sous un jour nouveau sans jamais trahir l’esprit du texte.
Son approche contemporaine met en lumière la modernité des thématiques abordées : le rapport aux conventions sociales, l’importance du regard de l’autre et la quête sincère de l’amour au-delà des apparences.
Marie Rolland – qui signe la mise en scène – explique en note d’intention :
« Aujourd’hui, les rencontres amoureuses sont alimentées par une recherche sur l’autre. Sur les sites de rencontre, on regarde le profil de la personne avant de décider si elle est à la hauteur de ce que nous recherchons, les rencontres donnent lieu à un espionnage sur les réseaux sociaux. On essaie de savoir qui la personne est avant de donner ou non une chance à l’avenir avec elle. N’est-ce pas le même stratagème que celui mis en place par Silvia et Dorante?
Silvia et Dorante entraînent avec eux Arlequin et Lisette, dans un Jeu qui leur paraît sans conséquences et qui va se révéler cruel. N’est-ce pas également ce que l’on peut retrouver sur les réseaux? Des personnes dupées ou escroquées, s’attachant à des relations virtuelles, rêvant à la vie qu’ils désirent derrière leur écran. Puis, la désillusion, la tragédie de la réalité lorsque le voile se lève ou que le compte se ferme. C’est malheureusement ce qui va arriver à Arlequin et Lisette, lorsqu’ils vont s’avouer qui ils sont vraiment. L’impact psychologique sur eux est poignant, croyant qu’ils pouvaient être aimés par une personne de meilleure condition, ils finissent avec une image dégradée d’eux-mêmes.Toute cette manigance est très actuelle : faux comptes sur les réseaux sociaux, photos retouchées, publications pour montrer de soi ce que l’on pense que les autres vont aimer.
J’imagine la pièce comme si Silvia et Dorante s’espionnaient mutuellement sur les réseaux sociaux, ne pouvant voir le vrai visage de l’autre : Lisette ayant créé un compte au nom de Silvia et Arlequin ayant créé un compte au nom de Dorante.
M. Orgon et Mario, en tant que maîtres du Jeu, sont certainement les personnages les plus cruels. Tels des cyberharceleurs, ils vont en toute connaissance de cause nourrir le Jeu et torturer les quatre jeunes personnes jusqu’à leur déchirement intérieur. M. Orgon, incarnant le PDG d’une grande multinationale, a l’habitude de tenir les rennes. Certes il souhaite le meilleur pour sa fille, mais il préfère jouer de la situation. Mario, son fils aîné, suivant le modèle de son père, va s’adonner à un Jeu très pervers avec Dorante dans le but de tester ses limites mais surtout pour assouvir sa domination. Silvia, à l’instar de son père et de son frère, continuera à duper Dorante lorsqu’il se sera découvert. La famille a du pouvoir et n’hésite pas à s’en servir pour manipuler les autres et arriver à ses fins.
J’ai choisi de travailler la pièce avec des personnages modernes, actuels, avec des smartphones, des consoles de jeu, mise en abîme du Jeu lui-même, des comptes sur les réseaux sociaux.Un décor épuré laisse place à la cruauté, au paraître, à la comédie et à la tragédie qui se joue. Une toile de fond présente en ombres les agissements cachés, les travestissements et l’emprise psychologique exercée, c’est le bureau de manipulation de M. Orgon et Mario.
Le Jeu de l’Amour et du Hasard reflète la complexité des relations humaines, dans l’expression de ses peurs et de ses vices profonds et égoïstes.
Cette version enlevée et inventive ravira autant les amateurs de théâtre classique que ceux qui découvrent Marivaux pour la première fois.
Une adaptation pétillante et réjouissante, à ne pas manquer !
INFOS PRATIQUES
LE JEU DE L’AMOUR ET DU HASARD
de Marivaux
Adaptation et mise en scène de Marie Rolland
Avec (en alternance) :
Hélène Badoui ou Lucie Lacourt, Pierre Arthur Lemoine ou Jean-Baptiste Ollé, Alice Burvingt ou Marie Rolland, Nicolas Lefebvre ou Leopold Hedengren, Thibault Lebouc ou Loïc Rottenfus, Bastien Blassel ou Nicolas Franco
Représentations du 12 janvier au 27 avril 2025
les dimanches à 18:00 (relâches: 2 février, 30 mars et 6 avril 2025)
Théâtre Montmartre Galabru
4 rue de l’Armée d’Orient – 75018 Paris
01 42 23 15 85