Avec cette nouvelle exposition, la Maison de Balzac aborde, grâce à la plume de l’écrivain et aux crayons de dessinateurs contemporains de Balzac, le thème du mariage au XIXe siècle.
Sans être féministe au sens actuel du terme, Balzac est en son temps le seul écrivain qui manifeste de l’empathie pour les femmes blessées.
Il évoque des thèmes que la littérature mettra parfois plus d’un siècle à admettre, comme la nécessité d’une entente charnelle dans le couple, les conséquences sur la vie sentimentale de l’ablation d’un sein, le viol conjugal…
La modernité de sa pensée sur des sujets qui restent hélas toujours actuels, apparait à travers des citations qui rythment l’exposition.
Celle-ci évoque plus particulièrement le mariage qui, au XIXe siècle, est souvent déterminé par des considérations sociales ou financières.
Le résultat presque toujours funeste de ces unions arrangées est présenté sous un jour ironique par les dessinateurs de l’époque comme Victor Adam, Honoré Daumier, Gavarni, Grandville, Henry Monnier, Émile-Charles Wattier, et par la réflexion d’Honoré de Balzac.
PARCOURS DE L’EXPOSITION
La Comédie humaine
Avec La Comédie humaine, Balzac propose une classification des espèces sociales, comparable aux travaux menés sur les végétaux et les animaux au siècle précédent.
Les lecteurs sont alors friands de caractérisations des types sociaux, de préférence sous une forme humoristique.
La première salle de l’exposition présente ces typologies où figurent en bonne place les jeunes célibataires.
Les auteurs sont très majoritairement des hommes, ce qui n’est pas sans conséquences sur la façon de représenter l’autre sexe. Selon les schémas de l’époque, le jeune homme recherche une maîtresse qui lui ouvre les portes de la réussite.
Quant aux femmes, elles relèveraient de trois catégories : celles « comme il faut », épouses ou jeunes filles à marier ; celles « comme il en faut », à savoir des jeunes femmes qu’un statut précaire contraint à rechercher un protecteur (actrices, modistes, bouquetières…) ou les prostituées ; enfin celles qui, au regard des canons de l’époque, ne peuvent susciter de passions parce que jugées trop âgées ou usées par leur travail (veuves, portières, garde-malades…).
« Quand Buffon peignait le lion, il achevait la lionne en quelques phrases ; tandis que dans la Société la femme ne se trouve pas toujours être la femelle du mâle. Il peut y avoir deux êtres parfaitement dissemblables dans un ménage. La femme d’un marchand est quelquefois digne d’être celle d’un prince, et souvent celle d’un prince ne vaut pas celle d’un artiste. »
Avant-Propos à La Comédie humaine
Mariages désaccordés : causes et conséquences
« Mariée, elle ne s’appartient plus, elle est la reine et l’esclave du foyer domestique. »
La Femme de trente ans
Comment se construit un mariage déséquilibré ?
Cette partie de l’exposition montre les dessinateurs qui traquent avec humour les causes des dissensions au sein des couples.
L’accès à l’éducation
L’absence de formation intellectuelle est alors érigée en principe éducatif. On prépare les filles à tenir une maison mais on préfère leur interdire toute réflexion, l’ignorance étant l’un des moyens les plus sûrs pour contrôler les esprits. Très peu apprennent l’histoire, la philosophie ou les mathématiques, sciences susceptibles de nourrir leurs velléités d’émancipation.
Une affaire commerciale
Si le mariage d’inclination existe, l’union est souvent au XIXe siècle une affaire commerciale, surtout dans les milieux aisés. Bien des parents souhaitent établir leur fille à moindre coût, certains sont prêts à la vendre, voire à la prostituer. De même, les jeunes hommes sont parfois contraints de renoncer à leurs aspirations amoureuses pour épouser de riches veuves ou des héritières fortunées. Le contrat liant les époux, soigneusement défendu par les notaires de chaque famille, revêt alors une importance considérable.
Unions déséquilibrées
Les couples ainsi créés sont parfois très désaccordés : différences d’âge, incompatibilités de mœurs… Autant de dissymétries qui font le bonheur des caricaturistes, à défaut de faire celui des époux.
Balzac a dénoncé ces dissensions avec une lucidité d’autant plus sidérante qu’en son temps, la plupart de ces sujets étaient entièrement occultés.
Les désaccords au sein du couple
Émile-Charles Wattier reproduit, sous forme d’une « échelle conjugale », tous les poncifs sur les désagréments du mariage, depuis l’ennui et les reproches jusqu’à la séparation de corps.
Les dessinateurs donnent une vision volontiers ironique de ces conflits domestiques. Ce sont les disputes entre un mari trop absent et sa femme, qui le lui reproche sans fard lorsqu’il rentre enivré. Ce sont les hommes étonnés par la froideur de leur épouse, ou les femmes dépitées par la nullité de leur mari. En cette époque d’autorité patriarcale, le ridicule des hommes dominés par leur épouse fait le bonheur des artistes.
La réalité s’avère souvent moins comique. Si Balzac adopte à l’occasion un ton humoristique, il dénonce sans ambiguïté la souffrance des femmes tyrannisées par leur mari.
Dans cette salle, une robe de mariée du XIXe siècle prêtée par le Palais Galliera, musée de la mode de Paris, oppose, dans sa splendeur, l’image sentimentale alors donnée du mariage à la réalité plus brutale des couples désaccordés.
L’adultère : déshonneur et inégalité devant la loi
Une source inépuisable de moquerie pour les artistes
Au XIXe siècle, l’épouse étant souvent cantonnée au rôle de ménagère et de reproductrice, les maris se tournent volontiers vers des courtisanes. De leur côté, les femmes déçues cherchent une âme consolatrice. Comme le divorce a été supprimé en 1816, l’adultère se répand. Les stratagèmes des femmes et le ridicule des hommes fournissent à la caricature, au théâtre et aux romans des sujets inépuisables. Les maris en sont la cible favorite car le jugement moral distingue alors selon le sexe : si l’honneur d’une femme tient à sa vertu, celui de l’homme dépend de la fidélité de son épouse. Et le thème du mari trompé traverse tout le XIXe siècle comme un immense éclat de rire.
Un révélateur d’inégalités devant la loi
La loi penche quant à elle nettement en faveur des hommes. Les femmes battues ont peu de recours. Au motif que la fidélité de l’épouse garantit la perpétuation de la lignée, le Code pénal rend la femme passible de trois mois à deux ans de prison en cas d’adultère, quand l’homme risque tout au plus une amende. Elle est tenue de se plier au devoir conjugal, obligation que Balzac n’hésite pas à qualifier de viol. Sa dépendance financière à son mari, pour la moindre dépense, transforme parfois le mariage arrangé en une forme de « prostitution légale », selon les termes du romancier.
Sensibles à ces inégalités criantes, les dessinateurs mettent en évidence les aberrations du Code civil, mais sous une forme humoristique.
Balzac se démarque de ses contemporains en proposant dans ses romans un éclairage précis sur le déséquilibre des mœurs, un outil d’analyse des problèmes sociétaux qui n’a rien perdu de sa profondeur ni de son efficacité.
Un catalogue sera édité à l’occasion de cette exposition et proposera un florilège des gravures présentées dans l’exposition, accompagnées d’extraits significatifs des œuvres de Balzac.
Une exposition incontournable !
INFOS PRATIQUES
Exposition Illusions (conjugales) perdues
du 20 novembre 2024 au 30 mars 2025
47, rue Raynouard
75016 Paris
Du mardi au dimanche
de 10h à 18h (dernière entrée à 17h30).
Fermé les lundis et certains jours fériés.
Informations/réservations : 0155744180 ou eppm-balzac.reservation@paris.fr
La Maison de Balzac
Nichée sur les coteaux de Passy, la Maison de Balzac est la seule des demeures parisiennes du romancier qui subsiste aujourd’hui. C’est dans le cabinet de travail que Balzac a corrigé, de 1840 à 1847, l’ensemble de La Comédie humaine et a écrit quelques-uns de ses chefs-d’oeuvre.
Grâce à la présentation originale d’un grand choix de peintures, sculptures et objets d’art, le musée invite à découvrir la complexité de l’oeuvre de l’écrivain et son universalité.
En 2019, la Maison de Balzac a bénéficié de travaux qui ont permis de moderniser la présentation.
Photo de Une : Henry Monnier- Esquisses parisiennes