Votre pièce, Les Enfants du Diable, bouleverse le public depuis Avignon. Comment est né ce projet ?
Tout est parti de ma sœur, Mirela.
Même si elle n’apparaît pas physiquement dans la pièce, c’est son ombre qui la traverse.
Son histoire, on me l’a partage depuis l’enfance et un jour j’ai compris qu’il fallait que je la raconte, ou du moins que je lui offre un espace où exister autrement.
Un matin, après une nuit où ses cauchemars l’avaient encore réveillée, ma soeur m’a regardé et m’a dit : « Clemence, toi tu sais écrire. Raconte mon histoire. Moi je ne peux pas, toi tu peux!»
À partir de là, c’était devenu une nécessité.
La pièce est née de ce besoin de mémoire mais c’est surtout un geste d’amour.
La pièce est inspirée de votre propre histoire. Est-ce que cela rend l’écriture plus difficile. Ou plus nécessaire ?
C’est forcément douloureux, parce que tout vient du réel (ou presque) même si parfois, j’ai dû m’en éloigner pour protéger certaines choses…
J’ai triché avec certains détails, j’ai recomposé, mais je n’ai jamais quitté l’essentiel : la violence du passé, la solitude, les coeurs meurtris, et cette façon de survivre en restant en mouvement.
Quand j’ai demandé à ma soeur ce qu’elle faisait pour « s’occuper » là-bas, elle m’a répondu : « Rien, on se balançait… »
Pourquoi?
« Je sais pas, pour bouger. Tant qu’on bouge, ça veut dire qu’on est encore vivant… »
Cette phrase m’a collée à la peau. Elle est devenue le fil conducteur de la pièce.
Alors oui, c’est difficile, mais c’est surtout indispensable. Et quelque part, c’est une grande fierté aussi .
Le personnage de Veronica, que vous interprétez, semble osciller entre colère, culpabilité et tendresse. Est-ce aussi votre propre oscillation ?
Complètement. Veronica porte des émotions que je connais bien: la colère face à l’inhumanité, la culpabilité d’être de l’autre côté de l’histoire, et une immense tendresse pour ceux qui continuent à avancer malgré tout…
Quand on aime quelqu’un qui a connu ce genre d’horreur, on jongle avec ces sentiments-là en permanence. J’ai moi-même un vécu qui me fait osciller continuellement entre toutes ces émotions.
Antoine Cafaro, qui interprète Niki, forme avec vous un duo d’une intensité rare. Comment avez-vous travaillé ensemble ?

La pièce parle de barbarie, mais elle parle surtout d’amour. Était-ce votre intention ?
Oui, dès le départ.
Le cadre est sombre: les orphelinats roumains, la politique nataliste, les milliers d’enfants abandonnés vivant dans des conditions épouvantables…
Mais je ne voulais pas que la pièce s’arrête à l’horreur. Ce qui m’intéressait, c’était ce qui reste malgré tout: l’amour, même maladroit, même blessé. C’est cet endroit-là que je voulais mettre en lumière. Parce que c’est souvent lui qui sauve.
Et rien de plus normal, quand on me connait plus personnellement, que pour moi, ça passe par la famille. Pour moi c’est le pilier de tout, peu importe que ce soit la famille de sang, a famille adoptive, la famille qu’on choisit… bref la famille selon moi c’est 2 mains qui tiennent l’équilibre de tous les doigts. Ça peut faire mal, mais ça nous élève…
Certains spectateurs parlent d’une véritable révélation émotionnelle après la représentation. Comment recevez-vous ces retours ?
Ça me touche beaucoup parce que je sais que ce n’est pas un spectacle confortable. Il remue. Il met face à une réalité qu’on préfère oublier. Quand je vois des gens sortir bouleversés, silencieux, parfois même en larmes, je me dis que la mémoire circule encore. Qu’elle n’est pas perdue. Et c’est exactement pour ça que j’ai écrit la pièce.
Qu’aimeriez-vous que le public emporte en sortant de la salle?
J’aimerais qu’ils repartent avec cette idée simple: tant qu’on continue de bouger, on est vivants. J’aimerais qu’ils sentent que même dans les moments sombres(comme on peut en vivre actuellement) , il existe encore une possibilité de se relever. Et qu’ils emportent un peu de cette mémoire, non comme un poids mais comme un geste de solidarité envers tous les enfants oubliés.
Quand j’entends : «Ça donne de l’espoir malgré tout», j’ai la sensation d’avoir réussi à passer mon message.
Un dernier mot ?
On peut s’élever. Ensemble. Cette pièce, c’est un cri. Une manière de dire : tant qu’on se souvient, rien n’est définitivement perdu.
Un immense MERCI à Clemence Baron de nous avoir accordé cette interview et encore bravo pour cette magnifique création théâtrale !
INFOS PRATIQUES
Les Enfants du Diable
Écrit et interprété par : Clémence Baron
Avec : Clémence Baron et Antoine Cafaro
Mise en scène : Patrick Zard’
Succès du Festival Off d’Avignon
Actuellement au Studio Hebertot – 78 bd des Batignolles – 75017 Paris
Le lundi à 19h et le mardi à 21h
Du 24 novembre 2025 au 24 mars 2026