Courrez-y !
À l’affiche du Théâtre de l’Odéon à Paris, L’Hôtel du Libre–Échange de Georges Feydeau, magistralement mis en scène par Stanislas Nordey, s’impose comme une œuvre incontournable de la saison théâtrale.
Cette plongée dans l’univers décadent de la Belle Époque nous transporte au cœur des pérégrinations effrénées de deux couples d’amis, les Pinglet et les Paillardin, qui se voient entraînés dans un tourbillon de péripéties où l’adultère devient la norme et le désir, bien souvent insatisfait.
Adultère d’autant plus incontournable que Monsieur Pinglet et Madame Paillardin ont une sexualité débordante, et leurs conjoints… pas vraiment.
À partir de cette donnée de base, les cartes sont rebattues à l’envi par un Feydeau déchaîné, fabricant d’embûches en tout genre.
Ce ballet de l’inassouvissement – car coucher ensemble paraît ici relever de l’utopie – emmène dans sa danse un partenaire improbable : un ami de la famille, fraîchement débarqué de Valenciennes avec ses quatre filles tout juste sorties du couvent. L’hôtel de passe où tout ce petit monde finit par aboutir, au milieu d’employés loufoques et de policiers, devient le cadre d’un emballement extravagant, on n’ose dire sans queue ni tête…
Une mécanique théâtrale déjantée
Feydeau, maître du vaudeville, nous offre ici un tableau acéré de la bourgeoisie, où les conventions sont systématiquement subverties.
La pièce s’ouvre sur un décor qui, tout en étant fidèle à l’époque, est le fruit d’une interprétation audacieuse du scénographe Emmanuel Clolus.
Ensuite c’est le cadre d’un hôtel de passe, véritable théâtre des passions contrariées, qui devient le champ de bataille d’une comédie d’intrigue, où chaque personnage, telle une marionnette, se débat dans un enchevêtrement de quiproquos et d’embûches savamment orchestrées.
La mise en scène : un voyage au cœur du délire
Stanislas Nordey, au travail reconnaissable entre mille, parvient à transcender le texte de Feydeau grâce à une mise en scène à la fois rythmée et follement inventive.
Il parvient à instaurer une atmosphère de légèreté tout en assignant aux personnages une profondeur inattendue.
Dialogues enchevêtrés, jonglant avec des répliques affutées.. nous assistons à dans une sorte de danse chorégraphique orchestrée par Loïc Touzé.
Cet entremêlement de corps et de voix donne naissance à un ballet d’émotions, où le rire n’est jamais loin.
Les costumes, signés par Raoul Fernandez, ajoutent une dimension supplémentaire à la pièce .
En effet ils scindent la pièce en deux parties : ce qui se passe au sein du foyer des Pinglet et ce qui se passe à l’Hotel de la rue de Provence…
Ce choix délibéré est une véritable trouvaille !
À l’Hotel du Libre Échange, des costumes que j’oserai qualifier de « loufoques » contribuent grandement aux burlesque des situations. Les autres costumes, plus « classiques » s’harmonisent à la perfection avec les personnages et soulignent leurs caractéristiques.
Des acteurs à l’unisson
Le talent des quatorze comédiens est à souligner. Chacun apporte sa pierre à l’édifice pour un résultat délicieusement délirant.
Les personnages prennent vie avec une intensité réjouissante, offrant des performances qui oscillent habilement entre le burlesque et le tragique.
Monsieur Pinglet, avec sa sensualité débordante, incarne à la fois l’objet de désir et le ridicule, tandis que Madame Paillardin, (Marceeeeeelle) avec son hésitation constante, se révèle être celle qui mène finalement la danse des intrigues amoureuses.
Ce jeu d’équilibre entre le désir masculin et la volonté féminine permet à Feydeau de construire des figures féminines dynamiques et nuancées. La joute verbale entre les personnages nous rappelle que derrière le Vaudeville se cache une réflexion plus profonde sur les rapports de genre, où les hommes sont souvent mis au pilori de leur propre ignominie.
Une réflexion sur le désir et l’existence
Bien au-delà de sa façade comique, l’Hotel du Libre Échange aborde des thèmes tels que le désir insatisfait et l’angoisse existentielle qui sous-tend les interactions humaines.
Feydeau, malgré son étiquette de comique léger, explore avec subtilité la complexité de la nature humaine.
En recontextualisant ces éléments pour le public contemporain, Stanislas Nordey nous force à renouveler notre regard sur cette société bourgeoise du début du XXe siècle.
L’Hotel du libre échange, version Stanislas Nordey s’avère être un voyage théâtral à ne surtout pas manquer : un chef-d’œuvre du théâtre moderne, alliant la virtuosité de l’écriture de Feydeau à une mise en scène audacieuse qui ne laissera personne indifférent.
En menant le spectateur par des chemins inattendus, à la croisée du rire et de la réflexion, cette production inaugure une nouvelle ère pour le vaudeville, tout en honorant l’esprit de son auteur.
Un voyage théâtral inoubliable, à voir absolument au Théâtre de l’Odéon.
Plus connu pour sa pratique du répertoire contemporain que pour celle du vaudeville, Stanislas Nordey a pourtant déjà mis en scène Feydeau, avec une Puce à l’oreille hilarante et poétique, dans un décor à la Jarry. Accompagné des mêmes partenaires artistiques, le scénographe Emmanuel Clolus, le chorégraphe Loïc Touzé, et le créateur de costumes Raoul Fernandez, il nous enchante une nouvelle fois…
On se délecte !!!
INFOS PRATIQUES
de Georges Feydeau
mise en scène Stanislas Nordey
collaboratrice artistique Claire Ingrid Cottenceau
scénographie Emmanuel Clolus
lumière Philippe Berthomé
costumes Raoul Fernandez
chorégraphie Loïc Touzé
musique Olivier Mellano
Du 6 mai au 13 juin
Théâtre de l’Odéon Paris 6e
avec Hélène Alexandridis, Alexandra Blajovici, Cyril Bothorel, Marie Cariès, Claude Duparfait, Olivier Dupuy, Raoul Fernandez, Paul Fougère, Damien Gabriac, Anaïs Muller, Ysanis Padonou, Sarah Plume, Tatia Tsuladze, Laurent Ziserman
du mardi au samedi à 20h, le dimanche à 15h
relâches les lundis
représentations surtitrées en anglais les samedis 3, 10, 17, 24, 31 mai et 7 juin
représentation surtitrée en français le 11 mai à 15h
représentations avec audiodescription les jeudi 15 et dimanche 18 mai
Rencontre avec Stanislas Nordey
et le collectif L’Envers de Paris “Théâtre et psychanalyse”
dimanche 1er juin à l’issue de la représentation (18h) – Odéon 6e