Christelle Korichi fait partie de ces artistes qui réussissent à mêler sur scène, rire et émotion avec une sincérité désarmante.
Découverte au Studio Hébertot, révélée cet été à Avignon, elle revient aujourd’hui au Théâtre de la Boussole avec un one-woman-show qui a gagné en profondeur, en nuances et en émotion.
Entre souvenirs familiaux, rêves contrariés, premiers pas chaotiques et une tendresse infinie pour sa grand-mère, Christelle raconte son parcours avec humour et vérité. Dans ce spectacle en constante évolution, elle se met à nu avec courage et beaucoup d’autodérision.
Je l’ai rencontrée pour parler de cette nouvelle version du spectacle, de ses inspirations, et de ce qu’elle imagine pour la suite de son histoire artistique et voici ce qu’elle m’a confié…
Z. P : Ton spectacle « UN AUTRE MONDE » a, en très peu de temps (moins d’un an), a été joué au Studio Hébertot à Paris puis au Festival d’Avignon, à la Scala Provence et aujourd’hui il revient au Théâtre de la Boussole…
J’ai eu la chance de pouvoir en apprécier les trois versions et de constater qu’il a beaucoup évolué.
Quel a été, pour toi, le moment qui a marqué un vrai tournant dans son évolution ?

Ce spectacle a été montré lors de deux Showcase au Studio Hébertot. Les réactions du public ont été très positives et j’ai eu immédiatement envie de continuer l’aventure à Avignon. Au fur et à mesure des retours des spectateurs et des professionnels incroyables que j’ai eu la chance de croiser sur ma route et dans ma salle – ils se reconnaitront – et aussi le fait de pouvoir jouer tous les jours m’a aidé à ressentir les contraintes des salles et les choses qu’on voudrait rajouter ou enlever dans le spectacle.
Puis l’après Avignon est un temps où j’ai laissé poser un peu mon texte. Quand je l’ai repris, je savais ce que je n’avais pas dit et que j’avais envie de dire.
J’ai gardé la sincérité en fil conducteur du spectacle!
Mais j’ai retravaillé la structure et je l’ai fait évoluer. La version qui est présentée au théâtre La Boussole à Paris est la plus aboutie. J’ai retravaillé tout le texte et, grande nouveauté, la mise en scène confiée à Alice Faure.
Elle amène un regard neuf et son expérience apporte un coté plus classique, plus centré sur ma pièce. C’est un travail difficile de réécrire un spectacle. Le succès croissant de mon spectacle lors du festival d’Avignon à La Scala Provence m’a convaincue de poursuivre l’aventure à Paris et de continuer à faire vivre ce spectacle avec une nouvelle écriture, plus resserrée et encore plus sincère.
Z.P.L.M: Tu as ajouté depuis peu des passages qui donnent l’impression que ce spectacle, c’est « plus toi » …
C.K : C’est tout à fait vrai. En discutant avec des spectateurs qui avaient vu la pièce, j’ai réalisé que certains passages n’étaient pas aussi évidents que ce que j’avais pensé.

Certains de mes messages étaient juste évoqués, mais pas suffisamment développés, d’autres messages je n’avais même pas osé les dire. C’est en discutant avec des professionnelles du spectacle comme Ariane Ascaride pour ne pas la citer, une comédienne extraordinaire que j’adore, que je me suis rendu compte qu’il n’est pas évident lorsqu’on écrit sur soi de dire l’intime, surtout lorsque la sincérité est le maitre mot. Il faut du courage pour dire les choses. J’ai donc voulu approfondir certains sujets, par exemple la charge émotionnelle du travail d’infirmière, ou la relation avec la mort pour la première fois.
J’ai retiré certains personnages, trop superficiels, pour donner plus de profondeur à d’autres.
Z.P : L’équilibre entre humour et émotion est central dans ce spectacle.
Comment trouves-tu le juste dosage pour que le spectateur rie… puis soit touché l’instant d’après ?
Je n’ai jamais voulu que mon spectacle soit une succession de blagues. Je voulais raconter une histoire, avec ses côtés drôles et ses côtés plus émouvants. Le passage entre le rire et l’émotion est donc au cœur de mon spectacle, ce n’est ni un spectacle comique, ni un spectacle tragique. Je veux raconter avec humour des choses sérieuses et avec sérieux des moments difficiles. Et je sais en observant les réactions du public si mon dosage est réussi. Mon but est que les gens éprouvent une émotion. Il y a beaucoup de moments qui me touchent dans ce spectacle, parfois ça change, ça dépend aussi de mon émotion du jour. En revanche, la fin du spectacle est un passage que j’ai ajouté.
J’ai changé la fin et elle m’émeut toujours car je la revis à chaque fois que je joue et c’est une chance de pouvoir le vivre, et encore plus sur scène.
ZPLM: Tu parles beaucoup de ta famille, et notamment de ta mère qui ne voyait pas le métier d’artiste comme un « vrai » métier. C’est du vécu ou « pure invention créative » ? Et si c’est du vécu, aujourd’hui, que pense-t-elle du chemin que tu as pris ?
Toute l’histoire est tirée de mon vécu. C’est mon histoire.
Bien sûr qu’il y a une part de fiction, mais l’essentiel est vrai et la sincérité est un cadeau que je voulais offrir au public.
Et oui, ma mère ne voyait pas le métier d’artiste comme un vrai métier. Sinon, je m’y serais consacrée beaucoup plus tôt, dès mon plus jeune âge. C’est aussi ça qui m’a aidée à toujours y croire, parce que j’avais le droit d’y croire même si elle ne voulait pas le croire. Et cette liberté, c’est ma mère qui me l’a donnée, en ayant un cadre, oui, mais le droit de rêver et de croire en ses rêves. Aujourd’hui, je crois qu’elle est très fière du chemin que j’ai accompli, ma mère m’a toujours laissé le droit d’aller chercher ma liberté et mon père m’a toujours appris depuis l’enfance que les rêves sont faits pour être réalisés .
Et surtout elle vient voir toutes les versions du spectacle. Elle était même là à Avignon, avec mon père, dans la salle, pour les deux dernières.
Z.P.L.M: La figure de ta grand-mère occupe une place très tendre dans ton récit. Peux-tu nous en dire davantage sur son influence dans ta création artistique ?
J’ai toujours eu une relation très forte avec ma grand-mère.
C’était une femme forte, déterminée et exemplaire, et elle adorait rire. Elle adorait aussi que je lui raconte mes histoires, et moi j’adorais la regarder rire, j’avais le droit de raconter tout ce que je voulais pourvu que ce soit drôle. Je me rappelle que ce qui lui plaisait le plus, c’est lorsque j’imitais les membres de ma famille et en particulier ma mère. Mes plus beaux souvenirs avec ma grand-mère, c’était quand on se réunissait pour toutes les fêtes. Pour nous c’était normal à l’époque, c’est en grandissant que je me suis rendu compte à quel point ce qu’on vivait avec ma grand-mère était extraordinaire et à quel point elle aimait le monde. J’en parle un peu dans le spectacle. Et puis surtout, je suis certaine que ma grand-mère a compris tout de suite ma vocation à devenir artiste.
Z.P: Tu évoques tes débuts hésitants, parfois comiques, parfois douloureux. Avec le recul, qu’est-ce que ces épreuves t’ont donné comme force, ou comme humour ?
Et est-ce que certaines galères restent encore des sources d’inspiration?

C’est toujours marrant de regarder tes galères APRÈS avoir galéré, parce que sur le coup, ce n’était pas drôle, mais avec le recul j’arrive parfois à bien en rigoler.
Pour moi tout est source d’inspiration. J’adore, depuis petite observer les gens, les écouter, regarder leurs réactions et je crois sincèrement que le chemin pour arriver à un objectif est aussi important que le but. C’est indispensable d’essayer encore et encore. Il faut faire pour apprendre et faire pour comprendre et pour que ça marche, il faut une action, un mouvement et peu importe le résultat. Il faut recommencer encore et toujours, quand tu crois en tes rêves, il faut tout faire pour les réaliser. Parce que si tu rêves de quelque chose, ce n’est jamais par hasard.
Moi, je ne crois pas au hasard. Je crois à la magie de la vie, et même les plus grands magiciens doivent s’entrainer et galérer un peu pour devenir meilleurs et pour apprendre.
L’échec n’existe pas si tu n’arrêtes pas d’y croire, il te rend juste plus fort et donc meilleur.
Z.P : En retravaillant le spectacle au fil du temps, as-tu découvert des aspects de toi-même que tu ne soupçonnais même pas ?
On dit d’ailleurs souvent que la scène devient parfois une forme de thérapie, surtout dans les seul.e.s en scène…
Vrai ou absolument pas ?
C.K: J’ai découvert que le courage de faire est une force dont je ne soupçonnais pas l’ampleur.
Dire et se dévoiler devant les gens c’est quelque chose que je n’imaginais pas être capable de faire avec autant de plaisir. C’est beaucoup d’étapes à passer pour une fille comme moi, qui aime garder des secrets. Donc je ne vais pas en dire plus sur certains aspects que j’ai découverts mais ils sont extrêmement positifs.
Z.P: Le public a souvent le sentiment de vivre une rencontre, pas seulement un spectacle.
Quelle est la plus belle réaction que tu as reçue depuis la création du show ?
Y a-t-il un moment après une représentation qui t’a particulièrement marquée ?
C.K : Il y a beaucoup de moments très forts et la rencontre avec le public en fait partie. Après une de mes représentations, à La Scala Provence à Avignon, j’ai retrouvé une jeune fille en pleurs. Je suis allé discuter avec elle, elle était élève infirmière et se questionnait sur son avenir. Pour elle, le spectacle lui avait parlé et elle avait trouvé quelque chose qui résonnait en elle. Cela m’a beaucoup touchée parce que c’est la raison même de mon spectacle, aider les gens à se questionner sur leur destin, leur(s) choix et leurs rêves. Et que chacun.e puisse trouver dans ce spectacle quelque chose qui lui parle. Évidemment que mon but n’est pas que le spectateur ressorte en pleurant, ça rigole aussi ! Mais si ça l’aide dans son chemin de vie, si ça l’aide à oser faire ce qu’il souhaite faire au plus profond de lui, c’est que j’ai réussi à transmettre mon message.
Z.P: Tu es à la fois autrice et interprète. Comment se passe ton processus de création ? Tu écris, tu testes, tu improvises parfois?
Est-ce qu’il y a par exemple une – ou plusieurs – scène (s) que tu as totalement transformée grâce aux retours du public ?

Le processus de création n’est pas simple et il est même plus compliqué que ce que j’avais imaginé. J’ai commencé par raconter mon histoire, encore et encore, puis j’ai essayé de la jouer et je me suis rendu compte que l’histoire sur papier ne suffisait pas.
Il fallait trouver le bon rythme, un récit à travers des personnages et un équilibre entre les moments joués et les moments racontés.
Donc oui, j’ai réécrit mon texte des dizaines de fois. L’improvisation n’a pratiquement aucune place dans mon spectacle. Tout ce que je dis, à la virgule près, a été réfléchi et travaillé car le travail du texte est extrêmement important pour que la sincérité puisse être présente et exister.
Les retours du public sont très importants, j’ai plusieurs fois réadapté mon texte en réponse à des remarques qui m’avaient été faites au départ, notamment après Avignon.
C’est pour cela que la version que je joue au théâtre La Boussole est à la fois très proche et assez différente de celle que j’avais jouée au Studio Hébertot ou à La Scala Provence. C’est la même histoire sur le fond mais écrite et racontée différemment, et ça change tout.
Z.P: Dans trois ou quatre ans, comment imagines-tu ta carrière : un deuxième spectacle, un projet plus large, de la mise en scène ?
C.K : Mon objectif a toujours été de jouer. Je veux jouer toute ma vie et ce n’est pas la petite fille de huit ans que je suis encore très souvent qui dira le contraire. Je suis heureuse quand je joue, le théâtre est un endroit où je me sens bien et pourtant, le cinéma et la caméra m’attirent aussi. Faire du cinéma, c’est comme faire du théâtre, moi je veux jouer avant tout.
Et j’aime garder cette partie de moi qui ne veut pas arrêter d’être une enfant qui adore raconter des histoires et jouer.
J’ai écrit, réalisé et joué dans plusieurs court-métrages. J’ai aimé ça aussi.
J’ai plein d’idées de pièces que je souhaiterais écrire et jouer.
Quand l’aventure de « UN AUTRE MONDE » se terminera, je me remettrai certainement à l’écriture d’une nouvelle pièce, mais cette fois, ce ne sera certainement pas un seul en scène…
Z. P: Un dernier mot ?

J’aime par dessus tout être surprise par la vie et les cadeaux qu’elle apporte, les nouveaux projets, les nouvelles rencontres et le voyage qui continue.
Et comme je l’ai déjà dit précédemment, j’adore les secrets.
Je crois que tout le monde devrait savoir que pour que les rêves se réalisent, il ne faut le dire à personne et … les réaliser!

Vous pouvez découvrir le spectacle de Christelle Korichi le samedi à 20h au Théâtre La Boussole