« […] Je ne voulais pas de ce procès, je voulais oublier. Mais j’étais mineure et mes parents ont pris cette décision pour moi [...] Louise
Accusé.e c’est l’histoire d’un procès. Le procès de Gaspard Valeur. Un jeune homme « bien » . Enfin en apparence. Car Gaspard Valeur représente l’impossible coupable. Celui qu’on n’imagine pas dans ce rôle. Sociable, cultivé et bien intégré dans la société. Veste et cheveux bien coupés, on lui donnerait le bon dieu sans confession. Mais voilà, Gaspard est accusé de viol. Et qui plus est de viol en réunion…
[…] Gaspard a utilisé « profiter » en parlant de moi. Ça l’avocat général ne s’en souviendra pas dans son réquisitoire.
Les témoignages le présentent comme un fêtard invétéré, coureur de jupon et manipulateur, mais ça, encore une fois, l’avocat général ne s’en souviendra pas dans son réquisitoire. Gaspard restera le jeune homme parfait qu’ils ont inventé pour ce procès. […]
[…] Je suis seule dans la salle avec mes parents, car j’ai demandé le huis-clos. J’ai demandé le huis-clos pour que les trois autres ne soient pas derrière lui. Hugues, Luc, et finalement pas Maximilien mais le frère de Gaspard, ils étaient tous là. Je n’ai rien dit, parce qu’il n’y avait pas assez de preuves. Mais ils étaient tous là. Ils m’ont agressée tous les quatre puisqu’ils ont tenu l’oreiller sur mon visage pour m’étouffer, et quand je ne pouvais plus respirer ils relâchaient en riant avant de recommencer. Ils étaient tous là. Je ne me souviens pas de tout mais je me souviens de ça. Et je vois dans les yeux des trois autres à quel point ils ont peur de se retrouver à la place de leur cher et tendre copain à la barre […]
Et le procès se déroule …
La mère Sylvianne Leduc (Mathilde Toubeau) est appelée à la barre. Son témoignage poignant pourrait se résumer en cette phrase:
« Je suis ravagée par la souffrance de ma fille! »
D’autres personnages se succèdent. Le psychologue, le policier, l’avocat général... des personnages dont les rôles, certes différents, convergent. Ce n’est évidemment pas un hasard si tous ces personnages sont incarnés par un seul et même acteur…
Et puis la Présidente de la Cour d’Assises (Romane Savoie) . Une femme certes mais une femme stricte, rigide, qui ne se laisse pas influencer par ses états d’âme…
» […] Aux assises, je donne le rythme…Je suis la voix de la justice. Je pose les questions mais malheureusement je n’ai pas la réponse…même si j’ai une conviction …et une certitude d’ailleurs.[…] Romane Savoie
« .[…] Quand les jurés laissent une victime sans justice, ils se donnent bonne conscience en se disant qu’elle est vivante et qu’elle survivra… par contre, envoyer un innocent en prison… quand c’est parole contre parole ils se rassurent avec cette idée de survie chez la victime plutôt que de se rappeler qu’ils laissent potentiellement un coupable en liberté […]
La seule lueur d’espoir dans cet univers noir et glauque c’est Adam (Colin Doucet). Narrateur omniscient et bienveillant, ses interventions apportent une sorte de paix, de sérénité en dépit de toute cette noirceur. C’est la voix de l’espoir: « Tu vas arrêter de survivre! Tu vas vivre! »
Mais au fait qui accuse-t-on vraiment ?
[…] À partir de la première déposition tout a été atroce, le regard des gens, les questions, la façon d’être regardée, et surtout, surtout le doute. Les gens vous regardent et vous savez qu’ils pensent « alors, c’est arrivé ou non ? » Louise Deluc
Ma question était : avez-vous clairement exprimé votre refus d’une relation sexuelle ?
La drogue ne m’a pas laissé cette opportunité. Les coups et la douleur ne m’ont pas donné cette chance, non. Pardonnez-moi.»
Alors? Le verdict ?
Il vous faudra attendre la ré-ouverture des théâtres et que la pièce soit de nouveau sur scène car je me garderai bien de vous le dévoiler .
Accusé.e – Les comédiens
Les excellents comédiens de la Compagnie La Baronnerie que j’avais pu découvrir il y a quelques temps dans Fallacia (pièce d’un tout autre genre également écrite par Clémence Baron) ont un jeu toujours aussi juste. Alexis Hubert (Gaspard Valeur) est le faux cul parfait. Sous son apparence de jeune homme « bien sous tous rapports » se cache un violeur cynique. Et quant à Clémence Baron – dont les talents de comédienne ne sont plus à démontrer – elle incarne à la perfection une Louise Deluc d’une grande dignité qui parvient à garder le cap…
Note d’intention de Clémence Baron
Le théâtre devient politique […] quand il défend une opinion. Il devient politique quand il dénonce une situation. Et moi, j’ai décidé de dénoncer une justice branlante, lâche et pleine de failles.
Pour ce projet, je me suis inspirée d’un fait divers arrivé en 2012 : un procès en assises pour viol sur mineure. Je me suis basée sur les faits réels et les ai transformés pour l’intérêt et la pertinence de la pièce. Dans cette société où ont émergé « balance ton porc », «me too » et ce qui adviendra, je n’ai pas voulu écrire une pièce féministe, non, ce n’était pas l’idée principale.
J’ai voulu écrire une pièce sur la justice dans ces circonstances.
Que se passe-t-il quand ceux qui doivent protéger ne savent pas eux-mêmes comment s’y prendre ? Et qui, par leur décision inique, ne peuvent que contribuer au développement de ces sites et nouvelles façons d’interpeller la société.
Étant une femme je me sens particulièrement touchée par ce sujet. […] Je pense qu’en ayant choisi un fait réel, cette pièce aura plus d’impact. En effet, on ressent différemment une histoire quand elle est fictive que quand on sait que les émotions présentées ont été, et sont toujours réelles pour quelqu’un. Écrire à partir d’une histoire vraie demande de la rigueur. Les arrangements doivent être en cohérence avec les faits réels et respecter la trajectoire de l’histoire. J’ai choisi de reprendre au maximum les termes exacts dont j’ai eu connaissance et ceux évoqués par les vrais protagonistes que nous jouerons dans cette pièce. La justice impacte aussi mon texte : étant un procès sur mineure, à huis clos de surcroît, la loi m’interdit de divulguer des identités et certains faits, tout a donc été minutieusement changé.
Depuis des années, il n’y a pas de baisse du nombre de viols en France, il y a même une augmentation des déclarations de viols […] Pourtant, il n’y a pas plus de victimes qui arrivent au stade de la reconnaissance de leur préjudice aux assises. Ce qui signifie qu’effectivement il faut que des mesures soient prises, il faut que les pouvoirs publics agissent, et il faut que nous travaillons ensemble afin de limiter ces viols, de permettre aux victimes de parler dans des conditions honorables, de ramener le temps d’une procédure à un délai acceptable, de former les professionnels à interroger avec patience, d’assurer aux magistrats de la formation sur les drogues et leurs conséquences ….
Mon avis : Une pièce très bien jouée qui aborde un sujet grave et douloureux qui malheureusement reste encore d’actualité. Félicitations à Clémence Baron à la fois pour ce texte hyper réaliste et pour l’interprétation magistrale de Louise Deluc.
Infos pratiques
ACCUSÉ.E Une pièce de Clémence Baron
Mise en scène de Lucas Biscombe
Avec : Clémence Baron, Colin Doucet, Brieuc Dumont, Alexis Hubert, Romane Savoie et Mathilde Toubeau
Durée : 1H20